La lutte des coupeurs de canne à sucre boliviens

Les ouvriers saisonniers immigrés en 2017

Ce sont des infortunés économiques: les Boliviens de l’Altiplano vont pour quelques mois aux terres basses pour y travailler comme ouvriers agricoles. La migration de travailleurs est un phénomène mondial et n’a rien de nouveau. « Pour nous, c’est la seule manière de joindre les deux bouts », dit un coupeur de canne à sucre à Bermejo. C’est aussi simple que cela.

Dans un passé pas si lointain, il y avait beaucoup d’agriculteurs belges sans terre qui ont migré temporairement en France pour y travailler comme travailleurs salariés. A l’heure actuelle, nous connaissons les ouvriers saisonniers qui viennent récolter des pommes, des poires et d’autres fruits. En Bolivie, la situation n’est pas différente. La pauvreté extrême sur le haut plateau bolivien oblige bon nombre de personnes à chercher leur salut sur les terres basses. L’agro-industrie bolivienne est le secteur économique le plus important après l’industrie minière, mais la mécanisation ne se réalise pas. Par conséquent, la demande d’ouvriers agricoles est forte, avec pour résultat des flux de migration intérieurs en masse.

Partir avec armes et bagages pour Bermejo pour quelques mois; voici le destin de nombreux habitants du haut plateau. Du village frais et montagneux de Chuquisaca au village accablant plein de moustiques, dans le département de Tarija tout près de la frontière argentine. « Je viens travailler ici comme coupeur de canne à sucre », dit Leonardo. A côté de lui se trouvent sa femme et son enfant. Ils travailleront, tout comme Leonardo, sur l’ordre d’un sous-traitant local, mais cela ne se dit pas de manière explicite.

Ce sont des infortunés, des ouvriers saisonniers, des travailleurs immigrés ; choisissez ce qui convient le mieux. Non seulement les coupeurs de canne à sucre à Bermejo, mais aussi au sein et dans les environs de Santa Cruz, dans l’Amazone bolivienne, à Montero, à San Julián,… vous les rencontrerez partout. Partout ils racontent la même histoire : « Dans les environs, il n’y a pas de travail », « Afin de joindre les deux bouts, nous n’avons pas d’autre choix que de venir ici », « L’argent que nous gagnons ici nous permet de survivre un an ». Mais, à Bermejo, Leonardo ose le dire encore plus fortement : « Nous n’avons pas d’autre choix », dit-il. « Que feriez-vous ? » a-t-il même répliqué.

Migration de travailleurs problématique

La migration de travailleurs ne doit pas nécessairement être problématique. Bien que de nombreux responsables politiques occidentaux fassent de leur mieux afin d’assimiler la migration de travailleurs à la faillite de l’Etat-providence, le vrai problème se situe ailleurs. Très souvent, les ouvriers immigrés deviennent des citoyens de deuxième rang, privés de tout droit fondamental.  Dans les environs de Bermejo, des dizaines de ‘campements de travail’ sont dispersés. Les travailleurs immigrés vivent dans des campements, souvent propriétés de la sucrerie ou du propriétaire foncier. Ce sont des baraques en bois, parfois pourvues d’électricité, et souvent sans eau courante. Dans les environs moins immédiats, il n’y a aucun centre de santé et encore moins une école pour les enfants des immigrés. Les conditions de vie sont vraiment pitoyables, et les conditions de travail sont choquantes.

« Le contrat de travail, si existant, se négocie avec les hommes », explique Jorge Rios de la CIPCA. Cette ONG coopère avec FOS et Horval afin de soutenir la Confédération nationale des travailleurs agricoles CNTACB. « Les ouvriers se voient octroyer une région spécifique dont ils doivent assurer la coupe endéans un certain délai. A cet effet, ils feront appel à leur épouse et à leurs enfants. La femme dépend donc entièrement de son mari, sans lui il n’y a pas de relation de travail », continue-t-il. La majorité des ouvriers n’obtiennent pas de vêtements de travail adéquats et travaillent de manière ininterrompue dans une chaleur brûlante dans une région qui ne dispose d’aucun centre de santé pour les premiers secours. Or, personne n’assume la responsabilité si les choses tournent mal. La sucrerie ou le propriétaire foncier se cachent derrière l’entrepreneur, qui s’en va tout de suite dans de pareilles situations. Le Ministère du Travail excelle en son absence et l’ouvrier agricole en est la victime.

Bref, les travailleurs immigrés en Bolivie sont également des citoyens de deuxième rang, sans droits de travail, sans accès à l’enseignement, sans accès aux soins de santé.

Les syndicats leur viennent en aide

“L’année passée, la fédération syndicale a invité le médiateur national pour faire le constat des violations scandaleuses des droits de l’homme », dit Fausbert Soraide, le Secrétaire de la Fédération des Coupeurs de canne à sucre FSTZCABT à Bermejo. « La commune et les représentants du Ministère du Travail ont également participé à cette visite. Le rapport était destructeur. »

Le rapport parlait de la « pauvreté extrême » dans laquelle les familles vivent et dénonce le manque total d’intérêt et de contrôle de la part du Ministère du Travail pour combattre de pareilles pratiques. De plus, le représentant local du médiateur a constaté à plusieurs reprises le travail des enfants lors de visites antérieures, bien que le Ministère continue à le démentir totalement.

« Munis des preuves, nous avons négocié avec les autorités locales. Nous avons réussi à obtenir que tout travailleur immigré venant travailler ici pendant la coupe de canne à sucre puisse bénéficier de l’assurance santé universelle que le département de Tarija offre à ses ressortissants », indique Soraide. Il s’agit d’une progression considérable pour les coupeurs de canne à sucre issus de Potosí où cette assurance n’existe pas. « Nous continuons à exercer une pression pour que les conditions de vie des familles s’améliorent. Des inspections de travail, une prestation de service judiciaire… Nous mettons tout en œuvre. Nous avons même notre canal de radio personnel où nous transmettons des informations relatives aux accords de prix convenus, aux violations des droits de travail etc. »

Une redistribution s’il vous plaît!

La pauvreté et l’inégalité mènent à la migration des travailleurs. En Bolivie, et en Belgique. Tout le monde cherche son bonheur économique. Certains ont la chance d’être nés au bon endroit. D’autres espèrent que tout se passera pour le mieux et migrent. Que feriez-vous ?