Le référendum bolivien et la gauche latino-américaine

“Peut-on modifier la constitution pour que le président actuel Evo Morales puisse à nouveau se porter candidat en 2019?”. Voilà la question à laquelle les Boliviens devront répondre lors du référendum du 21 février. Fin janvier, le président fêtera son 10ème anniversaire de présidence et par conséquent, il est le président de la Bolivie qui règne le plus longtemps.

Le référendum fait des vagues. Tout d’abord à cause du timing ; il a été élu en 2014 en remportant plus de 61% des votes préférentiels et il est au pouvoir jusqu’en 2019. Pourquoi déjà organiser un référendum s’il lui reste encore 3 ans ? Une réponse envisageable pourrait résider dans le fait que le président ne veut pas attendre la nouvelle baisse des prix des matières premières et la régression économique correspondante. Les dernières années, le pays a connu une croissance économique annuelle de 5% en moyenne, surtout grâce aux prix élevés des matières premières des dernières décennies. Une perspective économique négative pourrait être néfaste pour sa popularité. Voilà pourquoi il vaut mieux assurer dès à présent la possibilité d’être réélu en 2019.

Or, le référendum en soi bouleverse les esprits encore plus que le timing. Il se cramponne au pouvoir, voilà la critique principale lancée par l’opposition. L’opposition, composée des partis politiques UN, UD, MDS et la coalition citoyenne Soberanía y Libertad, dénonce « l’autocratie » du parti gouvernemental MAS. Le groupement de gauche au sein de la coalition citoyenne espère qu’un ‘non’ obligera le parti gouvernemental MAS à aller à la recherche d’un autre candidat qu’Evo. Les groupements de droite espèrent en finir avec le parti et faire une ouverture à un régime plus de droite. Dans le contexte de la perte essuyée par la gauche lors des élections présidentielles en Argentine, des élections parlementaires au Venezuela, et de la position chancelante de Rousseff au Brésil, la droite brésilienne espère surfer sur l’onde de droite qui submerge l’Amérique latine.

Les campagnes pour ‘oui’ et ‘non’ se mènent actuellement dans toute leur violence. Tous les médias, allant des canaux publics aux canaux de droite, relayent chaque jour les « nouvelles » toutes chaudes. Et comme c’est la coutume dans une véritable lutte électorale, tous les arguments sont avancés. Le scandale récent de corruption au Fondo Indigena, dans lequel le gouvernement jouerait un sale rôle, est utilisé avidement dans la communication des adversaires de Morales. En effet, qui est pour la corruption ? « Les gardiens de la démocratie », voilà comment le « camp de non » se positionne. En même temps, Morales et ses militants attirent l’attention sur le caractère démocratique du référendum et ils reprochent à l’opposition l’élaboration de plans néolibéraux et impérialistes. Récemment, le président Sanchez-Losada est arrivé au pouvoir, grâce à une campagne présidentielle sponsorisée par les États-Unis. Morales se considère comme le libérateur de l’impérialisme.

La campagne de Morales se concentre surtout sur certaines réussites de sa part; la politique macro-économique qui a réalisé une croissance structurelle et la dette publique décroissante (basée sur la politique extractiviste de ses prédécesseurs, mais avec des corrections sociales), la progression sociale générale, les investissements dans les dispositions publiques, la campagne pour la récupération de la mer, et peut-être encore la plus importante, la reconstruction de l’identité indigène. Un discours de temps à autre caricaturalement anti-impérialiste, basé sur la reconnaissance des forces et de l’identité personnelles, qui a changé la mentalité de plusieurs Boliviens de façon positive. Le camp du « non » mène surtout une campagne au nom de la démocratie. Et là, on renvoie également à plusieurs menaces réelles liées au régime de Morales. Le gouvernement a perdu pas mal de terrain auprès des organisations sociales qui ont initialement aidé Morales à arriver au pouvoir. Actuellement, la société civile est énormément dispersée. D’une part, il y a des organisations sociales comme la centrale syndicale bolivienne, qui soutiennent la politique de Morales (et par conséquent, elle n’osent pas adopter une attitude très critique). D’autre part, il y a des organisations sociales qui ne s’identifient plus au président. Pourtant, ces organisations ne lancent pas beaucoup de critiques. Ce n’est pas qu’elles acceptent naïvement la politique gouvernementale, mais elles ont peur de perdre leur personne morale, l’arrêt de mort pour une asbl bolivienne.

Donc, quoi penser du référendum ? Pas une question facile, puisqu’elle n’a pas de réponse univoque. D’une part, la modification d’une constitution apporte toujours une mauvaise odeur. La rotation sert à une démocratie, bien que le passé bolivien démontre qu’une rotation exagérée est aussi problématique. Et n’oubliez pas que Merkel est la chancelière fédérale de l’Allemagne depuis plus de 10 ans. D’autre part, Morales a gagné les élections avec 61,3% des votes en 2014, et il compte toujours sur le vaste soutien de la population. En novembre, il s’est avéré que 66% de la population se retrouve toujours dans la politique de l’administration Morales (IPSOS). De tels chiffres pourraient signifier que le débat sur la démocratie disparaît entièrement. Il est sûr que la relation du gouvernement (et le MAS) et la société civile est devenue problématique. Les deux camps se retirent et peu à peu un dialogue devient impossible.

La Bolivie était et est toujours un pays sous haute tension au niveau politique. Elle a connu plusieurs révolutions et dictatures militaires. Dans les années ’90, un programme d’adaptation structurelle a été imposé par le FMI (une période caractérisée par l’exploitation de l’Etat, les privatisations de plusieurs secteurs, et en même temps par la naissance massive d’ONG internationales qui représentaient à un moment donné 10% du PNB bolivien !). Fin 2005, elle a commencé une expérience avec Morales. Les premières années étaient tant fructueuses que orageuses, à cause de la forte opposition de la part de l’est commercial du pays qui n’aimait pas un président indigène et progressiste. En 2015, Morales a toutefois perdu quelques bastions importants pendant les élections locales. A La Paz, mais surtout à El Alto, appelé souvent le miroir de la Bolivie, des bourgmestres d’autres tendances politiques sont arrivés au pouvoir. Et pendant que la critique à l’égard d’Evo s’intensifie, Morales se retire dans sa propre raison.

Le référendum aura des conséquences politiques importantes. Est-ce le début de la fin pour Morales,  et pour la gauche de l’Amérique latine ? Ou Morales peut-il se tenir debout en Bolivie et former une digue contre l’onde de droite qui submerge le continent ?

A ver qué pasa…

 

David Verstockt, Fos